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Commémoration et déboulonnage

France Rémillard

Restauratrice et éditrice en chef de l'Écomusée du Patrimoine

En raison de ma formation en conservation-restauration, j’ai toujours un pincement au cœur quand je vois les mauvais traitements qu’on fait subir à nos œuvres d’art public. Aouch ! C’est ce que j’ai ressenti quand j’ai vu la statue de sir John Alexander Macdonald tomber des hauteurs vertigineuses de son piédestal. Le réflexe d’examiner, même en virtuel, l’état de l’accidenté pour constater les dégâts résultant de cette chute, vient également de cette formation. Oui, dans cet accident, le sir a perdu la tête, mais ne l’avait- il pas déjà perdu de son vivant ? Comme cette tête a été montée sur pivot, elle est très facile à remettre en place, une restauration pas trop compliquée est donc envisageable. J’ai aussi eu une pensée pour mes collègues du Centre de conservation du Québec qui auraient la tâche de soigner le traumatisé.

L’évènement m’a rappelé que ce même monument m’avait permis, au printemps de 2010, de profiter des quelques gradins qu’offrait son socle imposant. Je participais ce jour-là à une grande manifestation des personnels de la fonction publique du Québec, rassemblés sur la place du Canada (voir photo 1).

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Honneur mérité?

Je me suis ensuite mise à l’analyse de la situation sociopolitique et culturelle qui a mené à ce geste. Qui est ce personnage et qu’a-t-il accompli pour se voir gratifier d’un monument d’une telle ampleur, un cénotaphe magistral qui culmine à 18 mètres de hauteur et que tout concourt à magnifier ? En effet, déjà en 1895, au moment de sa livraison, le choix de l’emplacement n’était pas anodin. Au cœur de la place du Canada, son lieu d’implantation vise une visibilité maximale (photo 2). Érigé sur la place du Canada, anciennement square Dominion, qui est le lieu de sépulture des victimes catholiques de l’épidémie de choléra de 1832 (le cimetière Saint- Antoine), le monument dispose de tout l’espace nécessaire à une telle glorification. Il fait même ombrage au monument des anciens combattants (photo 3) avec qui il partage le parc. En comparaison, le monument des anciens combattants  affiche une humilité disproportionnée. En effet, ce cénotaphe en granit gris avait été élaboré pour commémorer la mémoire des Montréalais décédés au combat pendant la Première Guerre mondiale. Il fut, quelques décennies plus tard, « replaqué » pour  partager les honneurs avec nos autres montréalais morts au combat pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. Il est bien modeste à côté de l’immense socle architecturé surmonté d’un dôme à caissons, lui-même couronné de quatre lions impériaux britanniques et de sept jeunes figures enfantines représentant les provinces, elles-mêmes surmontées d’une immense figure féminine allégorique avec corne d’abondance.

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C’est cette installation qui sert d’autel à la représentation en bronze du controversé politicien. Conçue par George Edward Wade, la sculpture a des dimensions plus qu’impériales : l’individu représenté étant deux fois plus grand que nature. Le sir pavoise  en habits officiels, de pied en cap. Un ex-premier ministre, célébré comme un des « Pères de la Confédération ». Mais encore ? Les monuments historiques ne racontent pas l’histoire. Ils sont là comme « indicateurs » des valeurs d’une époque. Pourtant, le personnage, loin d’être héroïque, a plusieurs taches à sa réputation. L’anthropologue, écrivain et animateur de radio Serge Bouchard, en dresse un portrait peu reluisant. Pendant qu’il préparait le coup de la Confédération – qui n’en est pas une -, ce «raciste méprisable», comme le qualifie l’anthropologue, était ministre des Affaires indiennes. À ce titre, il a déporté pas moins de 11 000 personnes vers des réserves, dont elles n’avaient pas le droit de sortir, les affamant et les privant de soins, alors que la tuberculose sévissait. Il a orchestré la mise en place des odieux pensionnats autochtones, volant systématiquement les enfants à leurs parents, dans la perspective de priver ces jeunes autochtones de leurs racines culturelles et linguistiques pour tenter de les assimiler.

Son racisme lui a valu son déboulonnage à la fin d’août (photo 4). Raciste, il l’était à l’égard des peuples des Premières Nations certes, mais tout autant envers les Métis, les Acadiens et les Francophones. À son œil, seuls les blancs anglophones méritaient le  respect. Vous vous demandez comment ce vilain a pu atteindre le sommet. Il a acheté son élection : le «scandale du Pacific» l’a démontré. Pour le Québec, cette Confédération n’a jamais été celle promise et attendue, celle qui aurait donné à notre peuple les outils pour gérer sa destinée. Elle tient plutôt de la fédération et ses visées centralisatrices ont maintes fois été décriées.

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Les statues ne racontent pas l’histoire, parfois même elles la défient, comme c’est le cas avec celle de sir J. A. Macdonald qui, malgré un parcours politique lourdement entaché, a réussi à « se mériter » un tel monument. Sans ce déboulonnage, je ne serais pas retournée dans les sources historiques. Le sir méritait-il une telle commémoration ? À mon avis, certainement pas. D’ailleurs, « notre » statue de Macdonald à Montréal n’est pas la seule à susciter la controverse. Celles de Victoria et de Régina ont aussi été retirées, et à Charlottetown, sa survie est conditionnelle. Celle de Montréal n’en était pas à son premier assaut ni à sa première décapitation. Certaines politiques institutionnelles exigent que les graffiti à caractère haineux soient retirés dans les 24 heures qui suivent leur apparition. À certains égards, cette statue commémore la haine et elle nargue la population depuis plus de cent ans.

De la légitimité du geste

Bien que légitime, ce geste, qui relève du vandalisme, est déplorable. Il est déplorable parce qu’en démocratie le débat devrait libérer la parole et donner un exutoire aux frustrations. On enseigne si peu et si mal l’histoire : les livres sur notre passé sont scrutés en haut lieu et aseptisés. Puisque les monuments sont les indicateurs des valeurs d’une société et qu’au fil du temps, ces valeurs changent, il est normal qu’on questionne, pour se les approprier, les mérites qu’on attribue à ceux qui ont fait notre histoire. N’a-t-on pas renommé la rue Amherst à Montréal ? Ainsi, on peut s’attendre qu’avec le temps, la toponymie à caractère religieux si typique de nos rues, villes et villages, soit éventuellement revue. Il est déplorable qu’il ait fallu s’attaquer à l’indicateur pour susciter le débat. Il est maintenant ouvert. Que doit-on faire de ce mémorial ? Certainement pas le restaurer avec de l’argent public. Peut-être le conserver en l’état dans une réserve, avec graffiti, décapité et sans son piédestal, pour un jour l’exposer avec une notice replaçant le personnage dans l’histoire et énumérant ses états de service, les glorieux comme les plus sombres ? C’est ça l’histoire.

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