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À Lévis, une ouverture à la neutralité

Michel Lessard

Historien

Lévis est une ville de 140 000 habitants sur le Saint-Laurent, juste en face de Québec, la capitale nationale. Aujourd’hui, elle regroupe douze municipalités, une fusion amorcée en 1989. L’ancienne cité de Lévis développée à partir de 1850 était le chef-lieu de la région avec ses grandes institutions religieuses: collège, couvent, hôpital, orphelinat, écoles. Après 1900, elle devient un centre économique majeur avec la fondation des Caisses populaires Desjardins devenues le grand Mouvement Desjardins. L’arrivée du rail au milieu des années 1850 desservant les deux rives stimulera le développement industriel qui tournait auparavant autour de l’industrie du bois et de la construction navale des chantiers maritimes Davie. Les plus anciennes paroisses de la Seigneurie de Lauzon, première division territoriale administrative au temps du Régime français, soit Lauzon, Saint-Jean-Chrysostome et Saint-Nicolas apparues au 17e siècle, sont des paroisses souches qui entretiendront les plus vieux cimetières, la première version sous la nef, ad sanctos; plus tard, autour de l’église, apud eclesia; et dans la seconde moitié du 19e siècle, à la périphérie des villes, in proxima. Ces trois paroisses souches donneront naissance à des agglomérations urbaines, dont Lévis érigée en municipalité en 1861. Chacune leur enclos des défunts.

L’étude et la présentation des lieux d’inhumation à Lévis permettent de cerner l’état actuel des cimetières catholiques du Québec, comme on en trouve dans plus de 600 municipalités et leur relation avec les fidèles de ce pays catholique qu’est le Québec, avec les non-croyants et avec les autres dénominations religieuses sans exception, incluant les musulmans.

Brève étude de cas après enquête auprès des responsables des cimetières confessionnels et des cimetières neutres de la région de Québec

Au Québec, on trouve historiquement des cimetières confessionnels : catholiques et protestants relevant de différentes dénominations, de même que des cimetières juifs. Il existe également des cimetières neutres, ces parcs de la souvenance, accueillant cette fois tout le monde. Lévis a connu des cimetières catholiques et des cimetières anglicans. Jadis dans les grandes villes, on pouvait identifier des cimetières privés relevant de communautés religieuses et des lieux publics de commémoration. À Lévis, le collège de Lévis fondé en 1853 entretient son cimetière des prêtres toujours actif. Les Augustines hospitalières, des moniales cloîtrées opérant l’Hôtel-Dieu depuis 1892, auront également leur propre enclos des défunts aménagé dans les jardins de la communauté. Partout, avec le départ des religieux et des religieuses de ces institutions, ces cimetières privés confessionnels seront déménagés et centralisés ailleurs, dirigés vers la maison-mère ou un cimetière paroissial. Même mouvement pour les cimetières protestants à la fermeture des temples. À Lévis, les deux cimetières anciens suivant les préceptes de Luther et remontant au milieu du 19e siècle verront leurs défunts réinhumés au grand cimetière anglo-protestant du Mount Hermon, à Sillery, dans Québec.

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Aujourd’hui, le cimetière du Mont-Marie, le grand cimetière-jardin de Lévis, créé en 1887 sur un héritage plus ancien de champs des morts, regroupe plusieurs paroisses et sert les besoins funéraires d’une large communauté. Le site informatisé de l’organisme nous éclaire largement sur l’évolution récente de cet espace mortuaire.

«La Corporation du cimetière Mont-Marie est un organisme sans but lucratif au service de ses fabriques membres. Fondée en 1972 et administrée par des gens d’envergure. Elle a pour objectif de servir la collectivité tout en assurant, dans le respect des traditions et des croyances de chacun, la garde des dépouilles qui lui sont confiées.

Depuis la première sépulture de la paroisse de Lauzon en 1673, le nombre de défunts reposant dans l’un des nombreux secteurs du cimetière Mont-Marie s’élève à plus de 80 000. L’incinération étant un mode de disposition de plus en plus apprécié des Québécois, la Corporation a fait ériger depuis 1991 deux mausolées – columbariums aux secteurs Lévis et Saint-Romuald et s’assure d’offrir des columbariums extérieurs dans la majorité de ses secteurs.

Enfin, pour assurer la pérennité et la rentabilité du cimetière et pour offrir ce qu’il y a de mieux aux familles des défunts, la Corporation s’est associée en 2002 à la Coopérative funéraire des Deux Rives dans l’édification du Centre funéraire d’Aubigny. Ce partenariat a permis à la Corporation de devenir membre d’un grand réseau funéraire entièrement québécois, ce qui lui permet maintenant d’offrir à ses concessionnaires des services funéraires complets, adaptés aux besoins de sa clientèle, et ce, sous un seul et même toit».

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L’ouverture d’accueil du cimetière confessionnel catholique

Une brève enquête auprès des gestionnaires actuels du cimetière du Mont-Marie de Lévis permet de mesurer la grande ouverture de ce lieu d’inhumation, ouverture représentative de l’esprit qui anime les 300 membres de l’Association des cimetières chrétiens du Québec. Ce constat dépasse la simple tendance.

Jadis, ce cimetière confessionnel était réservé aux fidèles du culte catholique, idéalement pratiquant, non excommuniés et non divorcés, en bonne relation avec les principes et les préceptes de l’Église. Le champ des morts des premiers temps était devenu un jardin, aménagé selon les règles de l’art, organisé, végétalisé, fleuri, artistiquement clôturé, montrant un beau portail pour passer de la terre profane à la terre bénie. Et les lots bénéficiaient d’un entretien généreux lié au culte des défunts. Les espaces mortuaires étaient devenus des jardins, selon des modèles européens célèbres enracinés dans les débuts du 19e siècle.

Depuis 50 ans, on a grandement sacrifié le côté jardin pour permettre à la tondeuse mécanique de dominer la surface des lots et des allées. Dans plusieurs cimetières, dont celui du Mont-Marie, après examen des baux, des centaines de stèles, de monuments et de croix ont été retirées et envoyées à la casse, souvent les éléments les plus anciens de l’espace sacré, tout cela pour non-paiement du loyer annuel. On se croyait installé à perpétuité: une fausse impression. Ce vandalisme institutionnalisé a abouti à l’amnésie sérieuse de ce lieu d’histoire et d’archives et aux sacrifices d’œuvres commémoratives de l’art funéraire. Ceux qui ont fait la ville, notamment, sont morts une seconde fois !

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Et les lots fragmentés ont été revendus. Partout, les vieilles clôtures et les portails sortis des fonderies locales ont été remplacés par des pagées en maille de fer d’une grande banalité. Et les cimetières jardins ont vu apparaître des mausolées-columbariums d’une grande pauvreté architecturale, à l’imitation de ces barres de logements qu’on trouve maintenant dans toutes les villes. Pour un peuple de travailleurs de la terre, il était normal qu’on soit mis en terre. Pour une collectivité qui habite des complexes d’habitation, il est plus conforme de finir son temps mémoriel dans un bloc de niches ou d’enfeus.

À Lévis, si notre jardin des morts a perdu une grande partie de son cachet original, ses monuments ostentatoires et ses chapelles funéraires, il a par contre profité d’un ajustement aux nouvelles valeurs religieuses qui emportent nos sociétés modernes. Le cimetière chrétien est maintenant ouvert à tous, à condition de suivre les règlements qui s’appliquent et qui touchent l’environnement et la discrétion. Suicidés, divorcés, croyants et athées, baptisés et non baptisés ont maintenant leur place à l’abri des érables centenaires qui fleurissent en automne. Plus encore, toutes les dénominations religieuses sont accueillies et peuvent utiliser tous les services mis à la disposition des familles. Protestants de toute dénomination, témoins de Jéhovah, musulmans, bouddhistes, tous les humains de la terre sont attendus pour vivre ensemble la croyance de leur parcours final. Il y a donc au Québec, dans tous les cimetières catholiques, une place pour les disciples de Mahomet en s’intégrant à l’ensemble, dans l’ordre, sans carré spécifique, sans ghetto. On retrouve ainsi un peu de l’esprit qui prévalait à Lévis au début du pays dans nos champs des morts où les colons français, les quelques esclaves noirs, les nombreuses nations amérindiennes, les Abénakis, Malécites, Montagnais, Micmacs, Iroquois, se côtoyaient pour l’éternité. Il ne faut pas écarter le regroupement d’un même groupe religieux dans nos grands jardins historiques consacrés au monde de l’au-delà et à la croyance de chacun.

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