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Adulé outremer, ignoré ici

Chronique Commémoration:

France Rémillard

Restauratrice et éditrice en chef de l'Écomusée du Patrimoine

Les pages de cette chronique vouée à la commémoration québécoise sont consacrées à la présentation d’un grand parmi les humbles, un héros québécois vénéré et même étudié outremer, mais inconnu ici.

L’humanité recèle très peu d’individus de cette valeur, peu de gens marqués au sceau de la bravoure, de la grandeur d’âme et de l’humilité. Celui que nous vous présentons ici a fait sa marque au cours de deux guerres : la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée.

À la lecture de ses multiples exploits, on se demande bien pourquoi cet homme, pourtant adulé en Hollande, est si peu connu et reconnu chez nous. Peut-être parce que nous, qui sommes en temps de paix, oublions facilement que cette paix, nous la devons à ceux qui ont combattu pour elle. La révélation de ce personnage, nous la devons à quelques chercheurs, dont Luc Lépine, docteur en histoire qui, 75 ans après les faits, a vérifié et documenté chacun des actes qui sont attribués à ce héros.

Léo Major, un parcours hors du commun

Né en 1921, Léo Major est le deuxième d’une fratrie de 14. Élevé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal, turbulent et rebelle, il est peu apprécié de son père et guère plus de sa mère. Il quitte donc le nid familial à 14 ans. Déjà, à cet âge, il accomplit le premier d’une série d’actes de bravoure qui jalonneront tout son parcours de vie : il sauve de la noyade trois jeunes femmes que le fort courant du fleuve emportait vers une mort certaine.

En 1940, à l’âge de 19 ans, il se retrouve au chômage, alors que la guerre déchire l’Europe. Il s’inscrit comme volontaire au service militaire. Deux ans plus tard, il obtient sa certification de signaleur et sera responsable des communications sur le terrain auprès des troupes. Il sera régulièrement envoyé seul en éclaireur, une fonction qui semble lui convenir parfaitement. C’est en 1944 qu’il aura son baptême de la guerre, alors qu’il participe au débarquement de Normandie. Après l’assaut sur la plage de Juno avec le régiment de la Chaudière, il collabore à la libération de cette partie du territoire français. Au fil de son engagement, il se démarque par ses actes de perspicacité, de bravoure et d’humanité. De plus, les défis ne lui font pas peur. Alors qu’il est grièvement atteint au visage, Il a déjà plusieurs exploits militaires à son actif. Il aurait pu sagement accepter une démobilisation, mais avec un œil en moins, il poursuit son engagement. Quelque temps après, il a les chevilles et trois vertèbres fracturées par un obus. Encore cette fois, il aurait pu être démobilisé. Il maintient son engagement au sein de son régiment, multipliant les actes de bravoure jusqu’à la victoire.

Une libération héroïque

L’exploit qui lui vaut une admiration sans bornes éternelle en Europe est celui de la libération, à lui tout seul et en une seule nuit, de la ville de Zwolle, aux Pays-Bas. Son intervention sauve 50 000 civils pris en otage par les nazis et prive l’ennemi d’un centre stratégique. La nuit du 13 avril 1945, son fidèle ami Welly Arsenault, l’accompagnait dans cette mission de reconnaissance. Mais avant d’atteindre l’objectif, il est tombé sous les balles ennemies. Après l’avoir transporté sur son dos pour le mettre en lieu sûr, il poursuit seul la mission. Il étudie la carte de la ville. Il entreprend alors de traverser les murs de la cité fortifiée, de neutraliser les vigies en service, de leurrer l’ennemi par le lancement de multiples grenades aux quatre coins de l’agglomération et de dynamiter le quartier général de la Gestapo, pour finalement inciter le SS aux commandes à rendre les armes en lui faisant croire à une invasion imminente.

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À la fin de la guerre, il rentre au pays. Personne ne l’attend, même pas sa famille. Il a alors 24 ans. Le retour à la vie civile est périlleux. Il apprend le métier de tuyauteur, mais cinq ans plus tard, il retourne à la vie militaire.

Une autre guerre l’attend

En 1950, il est recruté pour la guerre de Corée par le commandant Jacques Dextraze et joint le Royal 22e régiment. Il s’illustre de nouveau au sein de la section de tireurs d’élite qu’il a formée et qu’il dirige. Avec une poignée d’hommes, il réussit à reprendre le contrôle d’un point géographique stratégique, pourtant abandonné de guerre lasse par tout un bataillon américain. Puis, de nouveau, il rentre au pays sans tambour ni trompette.

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Retour sans aide à la vie civile

Il se marie en 1952 et entreprend, bien que difficilement, à cause de tout son bagage traumatique, une nouvelle vie. Même décoré de plusieurs médailles, il est peu outillé pour cette transition à une existence familiale rangée. Après quelques années de service militaire en temps de paix, il quitte l’armée pour se consacrer entièrement à la vie civile. Il amorce alors une véritable descente aux enfers. Il faut dire que ce polytraumatisé du cœur est un taiseux : il refuse de parler de lui, et encore plus de la guerre. Il mettra une dizaine d’années avant de redevenir lui-même.

Le lion au cœur sensible

Les nombreux faits d’armes attribués à Léo Major lui ont valu plusieurs (une douzaine) médailles, dont deux prestigieuses DCM (Distinguished Conduct Medal). Il est le seul canadien à en détenir deux. Mais ce qui nous émeut vraiment, au-delà de ces honneurs, c’est l’homme derrière le héros. Un héros qui ne s’est jamais perçu comme tel. Interrogé à ce sujet, Léo Major disait qu’il n’avait fait rien d’autre qu’accomplir son devoir. Ainsi, s’étant rendu compte que le nombre d’ennemis abattus par un soldat était valorisé par ses supérieurs, il prend le parti d’éviter de les tuer, préférant les neutraliser d’une balle dans l’épaule ou les faire prisonniers. Il va même à quelques reprises jusqu’à plaider pour épargner la vie des prisonniers.

Ce qui nous émeut aussi, ce sont les liens d’amitié sincères qu’il a tissés dont celui avec Welly Arsenault, qui a tenu à l’accompagner dans la mission hautement périlleuse et mortelle pour ce dernier, vers Swolle. Ce sont également les nombreux témoignages de ses pairs, qui témoignent du respect et de l’admiration qu’ils portent à ce frère d’armes. C’est la difficile réintégration à la vie civile de ce polytraumatisé, tenu au silence par le manque d’intérêt de sa communauté. C’est son courage pour se sortir d’une profonde dépression et pour devenir un bon père de famille estimé par ses proches. Finalement, ce qui nous émeut, c’est de savoir que ce Québécois, pourtant vénéré outremer, est si peu connu et reconnu ici.

Commémoration

Depuis 2008, il repose dans le cimetière du Champ d’honneur national du Fonds du Souvenir, à Pointe-Claire. Pour marquer sa mémoire, pas de mausolée, mais une simple pierre au sol portant ses nom et prénom, de même que ses dates de naissance et de décès. Pourquoi donc ? Léo Major est un rebelle, certes, comme en témoigne son dossier militaire, mais il fut un tacticien hors pair, un motivateur reconnu, un être magnanime, un résistant résilient, un brave parmi les plus braves, un multimédaillé, le seul soldat à avoir libéré une ville à lui seul. Pourquoi est-il ignoré de ses concitoyens ? Ne mérite-t-il pas honneur et reconnaissance ? L’investissement de l’État ne devrait-il pas aller au-delà de cette simple pierre au sol ? Ne mériterait-il pas d’être enseigné dans nos écoles ? Personne ne contesterait qu’on érige une statue à la mémoire de Léo Major sur une place publique à Montréal. Il appartient à cette catégorie d’hommes qu’il faut saluer officiellement et éternellement.

La prochaine fois que nous irons à Montréal, nous irons fleurir son souvenir au Champ d’honneur national de Pointe-Claire.

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